« Un jour ils seront là… »

Cette fois les feuilles je les compte à l’œil nu, le vent les a décrochées dans ses rafales enragées de la semaine passée, je me demande comment se sentent les arbres lorsque le ciel s’enroule autour de leur tronc et ne laisse percer aucun souffle de lumière.

Mon fils me demande quand nous pourrons aller en luge à l’école et percer la mer gelée au Danemark pour pêcher le poisson comme les eskimos.

Ce matin sur les trottoirs luisants de pluie, les eskimos me paraissent loin, mais le thé brûlant face à la baie vitrée me réchauffe, le clapotis des doigts sur le clavier aussi et, sur la table du café, mon manuscrit annoté de milliers de corrections – parsemés de post-it colorés et dont les pages cornées déforment la masse usée – me réconforte.

Je ne suis pas seule, nous sommes deux, trois, sept et plus de vingt, mes personnages et leurs objets, leurs expressions, leurs défauts s’engouffrent dans ma tête, je deviens multiple, je les accueille, je les nourris, marrons chauds et soupe de potimarron pour tout le monde, l’hiver est long, il faut tenir le coup, la solitude complète c’est la mort qui me frôle.

J’aime cette image de Sylvain Germain : « Un jour, ils sont là. Un jour, sans aucun souci de l’heure.
On ne sait pas d’où ils viennent, ni pourquoi ni comment ils sont entrés. Ils entrent toujours ainsi, à l’improviste et par effraction. Et cela sans faire de bruit, sans dégâts apparents. Ils ont une stupéfiante discrétion de passe-muraille.
Ils : les personnages ». (Les personnages).

Le navire quitte le port, embarquons-tous !