Les soirées mangent le début de la nuit, je ne regarde plus l’heure, j’ai juste l’envie de me fondre dans l’éclatement du rythme quotidien. Oublier le cadre, les obligations. Le soir saupoudre peu à peu de son obscurité, les sandales traînent dans l’entrée, les grains de sable, le ballon orange et le sommeil nu dans la chaleur.
Bientôt nous larguerons les amarres, la maison, les amis, nos affaires, pour quelques temps. Mettre entre parenthèse cette vie bruxelloise et souffler dans la voile fine et presque transparente de nos intuitions, des possibles. Bien sûr cela me fait peur.
A quoi tient mon quotidien ? Quel est mon socle, quelles sont mes attaches ?
Prenez une grande valise et une autre, plus petite, à côté.
Dans la grande mettez tout ce qui n’est pas indispensable à vos yeux, mais que vous garderez quelque part, en attente. Dans l’autre mettez juste l’essentiel, ce dont vous ne pourriez-vous passer pour deux ou trois jours. Au fond, de quoi ne peut-on pas se passer? Vous bourrez le petit bagage à vous assoir dessus pour tirer la fermeture éclair. Qu’est-ce qui nous rassure dans le geste de garder tous ces objets ? Pourquoi est-ce si difficile de devoir faire le tri, faire le deuil, se séparer de ce que l’on croit indispensable à notre vie ? Et si mettre de côté nous permettait de nous alléger, de reprendre contact avec ces ailes créatrices jusque-là enfouies sous le poids de nos possessions ?
Finalement dans la petite valise, j’aimerais qu’il y ait encore un peu de vide. Le vide pour laisser circuler l’air, le vide pour accueillir du nouveau.
Qui suis-je maintenant ? Qui serai-je dans cinq semaines une fois la maison vide ? Je me demande si ce sont les gestes du quotidien, les objets, le lieu où je vis qui me définissent.
J’ai retrouvé hier, en triant mon bureau, ce papier griffonné avec les mots de René Char (il y a quelques années, la RATP les a placardés sur les murs du métro parisien), « impose ta chance, serre ton bonheur, va vers ton risque ». Je sème leurs graines autour de moi. Ce matin, demain, après-demain peut-être, le regard penché sur la terre humide, j’observerai avec impatience l’arrivée fragile et vertigineuse d’une première feuille verte.
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