Aujourd’hui, c’est le premier jour. Le premier jour de ma vie. Je me lève, je n’entends ni les vagues houleuses, ni les cris des mouettes, pourtant elles sont là, à quelques mètres, tandis que l’horizon tangue sous mon regard.
J’ai laissé derrière moi les concerts, les répétitions, les engagements amicaux et familiaux. Cela fait plusieurs mois qu’une voix m’obsède « tu dois changer quelque chose… ». Avant-hier, j’ai entassé ce qui meublait ma vie dans un container de quelques mètres cubes et ce matin, face à moi, le soleil jaillit de l’eau.
La terre a disparu.
Je ne sais pas encore si j’ai le pied marin mais mon corps semble s’adapter au roulis du bateau, à la forte odeur des machines, à l’exiguïté de l’espace partagé. Nous sommes trois femmes entre quarante et soixante ans, visages minces, cheveux parsemés de blanc, yeux perdus dans le lointain. Qui sont-elles ? Hier après avoir embarqué, on nous a prévenu que la première traversée durerait 3 jours. Trois longues nuits.
Est-ce que l’acharnement du vent, l’éclat de la lumière, l’instabilité du sol sous mes pieds m’épuiseront au point de trouver enfin le sommeil ? Si je continuais ainsi, je perdais mon travail, ma santé, mes amis. On ne vit pas sans sommeil. On survit, on s’abîme, on finit par se perdre et s’oublier.
Cette nuit, je n’ai pas compté les heures, j’ai écouté le frôlement incessant de l’eau sur la coque. De ma cabine avant, j’ai entendu la passation de chaque quart, les voix décrivant notre position sur la carte, le tirant d’eau, le cap, la vitesse… J’ai la sensation étrange de m’abandonner entre les mains de quelqu’un que je ne connais pas.
Nous sommes tous tributaires des humeurs de la mer.
Hoy yo me siento como una de esa mujeres, totalmente entregada a los humores del mar…
J’aimeJ’aime