Une malle

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« La veille au soir, tu avais écrit dans ton carnet noir le verbe… » (Emmanuel David, Une légère rotation).

Coudre.

Il te fallait à présent tenter de recoudre les morceaux éparpillés de ton histoire familiale. Le bateau ayant pris l’eau, tu avais jeté les vieux magazines jaunis, les vêtements surannées, les bottes percées et les outils rouillés que le liseron avait fini par dissimuler.

Une vieille tante installée depuis peu dans une maison de retraite t’a envoyé la clé par la poste, tu habitais trop loin pour venir la chercher toi-même et à vrai dire, tu n’avais pas envie de rencontrer cette femme que tu n’avais plus vue depuis l’enfance. Elle avait toujours critiqué tes parents et les choix de ta mère.

La clé t’attendait dans le petit bol verni à l’entrée du vestibule. Aujourd’hui, samedi, ta journée était libre.

Comme la route plantée de hauts tilleuls, se rétrécissait à partir du lavoir, tu avais dû passer la deuxième puis finalement laisser ta voiture sur le bas-côté. Personne n’entretenait plus ce chemin depuis des lustres et les herbes sauvages recouvraient le chemin, frottant bruyamment le bas de caisse des véhicules. Au bout, une grille mangée par la mousse tenait encore debout. Les feuilles des deux érables, grandes comme des mains de sculpteur, coloraient le sol de la cour qui encadrait la maison. De longs fils d’araignées s’étiraient entre le rosier ancien, les volets fermés et les jardinières dont la peinture blanche s’écaillait en fines pellicules.

Cette maison tu y venais enfant rejoindre tes cousins, plus âgés que toi. Tu passais tes journées à déambuler entre les plants de courgettes, les tiges de haricots et les pattes des trois chats qui régnaient en maîtres dans la maison. Tes parents t’y abandonnaient trois semaines pendant les mois d’été et, si tu ne redoutais finalement pas les longues heures chaudes passées là, c’était grâce au cabanon au fond du jardin.

Personne ne s’y aventurait plus. Une odeur de poussière et de lavande séchée y régnait en permanence. Encombré d’un tas de vieilleries oubliées depuis des siècles, on craignait d’y tomber nez à nez avec un rat ou une couleuvre endormie. Tu devais avoir huit ou dix ans et tu te faufilais aisément entre les cartons de livres, le landau, les chambres à air de vélo et les deux malles rapportées d’Amérique latine par un oncle.

Aujourd’hui, c’est dans le fouillis des documents d’une de ces males que tu espères comprendre la mort cachée de ton grand-père.

3 commentaires sur “Une malle

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  1. Bonjour. Un petit plaisir non dissimulé de découvrir qu’une phrase d’Une Légère Rotation est le point de départ d’autres phrases… Merci à l’élégance d’avoir cité le titre et l’auteur. Le thème du retour sur ses racines m’est cher. Bien à vous

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  2. Un grand merci. J’ai écrit à compte d’auteur un livre nommé « L’Hippocampe » qui présente un certain point de vue sur la vie d’un de mes grands-pères qui a côtoyé Saint-Exupéry aux temps glorieux de l’aviation. J’ai écrit une douzaine de nouvelles pour un petit recueil en préparation que j’ai pour le moment appelé « Ilots de tendresse possible ». Je vous ferai parvenir l’une d’entre elles « en avant-première » si cela vous dit. En attendant, je vais lire avec attention les textes sur votre site. Emmanuel

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