Journal de confinement – Jour 13

Je la regarde, de loin puis de plus près et j’essaye de comprendre. Qui sont ces jeunes ? Cette photo je l’ai achetée dans une exposition à Paris, l’année dernière sans doute, avant mon accouchement, alors que, le ventre tendu, à peine revenue de notre long séjour danois, je déambulais dans les rues de ma ville natale pour me réapproprier ses sensations oubliées. Cette photo noir et blanc, je l’ai placée le long de la vitre qui donne sur la rue. Avec le temps elle s’est quelque peu gondolée, formant un arrondi contre la peinture grise du châssis. Je me suis réfugiée derrière l’ombre du rideau pour conserver un peu d’obscurité à cette heure de la sieste matinale. Les portes qui me séparent de la chambre sont vitrées et la lumière envahit l’autre pièce. Le soleil chauffe mes mains que je viens d’enduire de crème, elles sont si sèches à force d’être lavées et relavées.

Imprimant les feuilles d’exercices des enfants, j’ai rangé mon bureau. Il était jonché de papiers administratifs à trier, de factures à payer, de carnets de notes, d’ouvrages lus et ouverts à une page annotée, de livres à lire en attente sur une pile dont la hauteur me réjouit heureusement encore. Un casque audio, un calendrier, une lampe de poche, des boucles d’oreilles en origami offertes par ma petite sœur. Mon bureau, lorsque je le regarde comme ce matin, rangé, propre et inondé de soleil, je me dis qu’il ressemble à un radeau. J’ouvre la fenêtre, je débranche la prise de l’alimentation de l’ordinateur et à présent sans plus d’attache, nous partons. Lui et moi.

Il me rappelle cet album jeunesse de Claude Ponti, La tempête. Cette histoire pourrait être une métaphore de ce que nous vivons actuellement. La tempête arrache la maison, la famille se retrouve sur le lit de la petite qui devient bateau et qui navigue. Les mots du journal de Wajdi Mouawad se joignent à cette image « nous ne formons qu’une seule et même tribu ». Oui, face à cette épidémie-tempête, sur notre lit-terre.

Ce matin, j’accueille le soleil, le nid de l’oiseau au sommet de l’arbre en face, les bourgeons qui pointent, les pensées de ceux que j’aime.

 

Propositions d’écriture :

Regardez cette photo de Danny Lyon et entrez dans une histoire, qui pourrait, peut-être, commencer ainsi « cela faisait trois ans qu’ils attendaient ce jour ».

 

 

 

2 commentaires sur “Journal de confinement – Jour 13

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  1. Cela faisait 3 ans qu’ils attendaient ce jour, trois années à attendre leurs retrouvailles, dans la douleur.
    Dan et Scarlett sont frère et sœur, ils vivent à Détroit, dans le Michigan, ville ouvrière des Etats Unis, berceau du nouveau mythe américain, celui du self-made-man.
    Leur père était mécanicien à Général Motor, leur mère couturière à domicile.
    La famille Witch habitait au n°22 dans la banlieue industrielle de Warren, « 22 v’là les flics » disait Dan, « ce n’est pas poli de dire ça » disaient les parents, alors Dan et Scarlet le disaient tout le temps, « 22 v’là les flics », ils s’amusaient bien.
    C’est une famille de quatre enfants. Dan, l’aîné et Scarlett trois ans plus jeune, étaient toujours ensemble pour le meilleur et souvent pour le pire.
    Ils vivaient dans un pavillon de la banlieue grise, une petite maison mitoyenne de la grande surface où ils traînaient volontiers avec leurs potes. Ils avaient un rêve commun, faire grandir leur groupe de musique, jouer dans les concours, percer, être reconnu et jouer, jouer…. Ils travaillaient le jazz et le rhythm and blues, et leur idole c’était Nat King Cole.

    Et puis, à leur adolescence, la ville a déclaré faillite, une histoire économique absurde, où les choix politiques se réduisent aux profits des actionnaires et à une industrie unique : l’automobile ; une dette de 18,5 milliards de dollars ! Fini le ramassage d’ordures, fini l’éclairage public dans la moitié des rues de la ville, la plupart des écoles ferment, les services publics sont proches du néant.
    La ville prend des allures post-apocalyptiques : quartiers entiers de maisons abandonnées, pelouses devenues friches, arbres qui poussent au milieu du salon, commerces éventrés, fermés depuis des lustres, faisans et renards qui se promènent à la nuit tombée. Et petit à petit, ce sont de larges avenues vides, héritages d’une ville dimensionnée pour 2 millions d’habitants motorisés, utopie vrombissante depuis longtemps oubliée. Et des rues désertes et désolées où l’on croise un couple attendant un bus qui semble ne jamais arriver…

    Dan avait 17 ans et avait quitté l’école depuis un an, l’école… ce qu’il en restait, payante et pas à la portée de ses parents devenus chômeurs.
    C’est cette année qu’il participa à la “nuit du diable”, une orgie nihiliste d’incendies criminels qui causa la destruction de 800 maisons en l’espace de soixante-douze heures, dont celle de sa famille !
    Cinq ans de prison ferme et une libération sous caution au bout de trois ans pour bonne conduite.

    Le taux de pauvreté de Detroit est aujourd’hui l’un des plus élevés des Etats-Unis. La ville a retrouvé une vitrine qui profitent à des personnes qui vivent en dehors de la ville, une croissance calibrée pour de jeunes diplômés venus d’ailleurs.
    Scarlett travaille à présent comme caissière dans la grande surface mitoyenne. Elle est venue chercher Dan qui réalise la douceur de la liberté.
    L’ombre de leur père mort de chagrin plane sur leur pensées, ils écoutent « Quizas, Quizas, Quizas » de Nat King Cole.

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