Je parcours le chapitre 7 de la deuxième partie de mon roman en cours en essayant de trouver des synonymes au verbe « regarder ». Il doit apparaitre mille fois dans le récit. Je ne suis plus efficace, je vais prendre une pause. Un homme torse-nu, carrément, pousse un enfant assoupi dans sa poussette, la rue est calme. L’été sera-t-il là avant la fin du confinement ? Première fois que nous étalons le linge à sécher dans le jardin.
Je viens d’accepter la relecture d’un gros manuscrit, quand aurai-je le temps de le lire ? J’aimerais n’avoir besoin que de cinq heures de sommeil pour recharger mes batteries. J’aimerais, une fois la maisonnée endormie, me plonger dans mes écrits, ceux des autres et que le temps s’arrête toute une nuit. J’aimerais parvenir jusqu’à une overdose de mots.
Je finis le livre d’Emilie de Turckheim, Le prince à la petite tasse. La narratrice accueille dans son foyer un migrant afghan pendant une année. On découvre jour après jour à travers le journal de cette femme, la vie de Reza, vingt-quatre ans, dans sa vie parisienne au sein de cette famille. Un petit chef d’œuvre de beauté et de simplicité qui questionne notre rapport à l’autre, notre esprit de solidarité.
Sortir marcher librement me manque, partir loin de la ville me manque. Bientôt le week-end de Pâques et notre traditionnel rassemblement familial n’aura pas lieu. Nous marchons vers la basilique de Vézelay pour y pique-niquer dans ses jardins qui surplombent les vignes, nous y cachons les œufs pascales et finissons, écœurés de ce trop-plein de sucre, par un petit café ou un thé dans un bar de la grande rue. La veille, certains rejoignent la basilique à dix heures du soir pour aller y célébrer la messe pascale. Silence lorsque tous réunis dans la pénombre du narthex nous attendons la flamme qui fera flamboyer le feu sacré. Cette tradition familiale va me manquer. La route aussi entre Bruxelles et la Bourgogne, moi au volant et les enfants derrière, longeant les avancées du printemps, rêvant déjà aux soirées estivales dans cette campagne reculée du monde où j’ai grandi en parallèle de Paris.
Achèterons-nous la semaine prochaine quelques œufs en chocolat pour oublier ces regrets ?
Il n’y a pas eu de nouveau tags dans notre rue. Les voitures, jonchées d’excréments de pigeons et d’autres oiseaux, ne semblent plus bouger depuis des semaines, une poussière les recouvre comme pour tenter de dissimuler leur laideur dans ce nouveau printemps. Je vais appeler mes parents, il y a plusieurs jours que je ne leur ai pas parlé.
Proposition d’écriture :
On pourrait, par exemple, poursuivre la phrase de Bérangère Cournut (De pierre et d’os, édition le Tripode), « je me réveille les pieds dans l’eau, la tête sur des galets ».
Il faut s’y résoudre : le confinement durera longtemps.
Il faut cesser de s’exposer au jeu des annonces yoyo des gouvernants qui jouent sur nos impatiences et sur nos peurs pour entretenir l’espoir d’une proche libération – tout en nous maintenant docilement dans les règles sanitaires.
J’ai fait le choix de l’acceptation et de la résignation ; les seuls choix qui permettent de ne pas sombrer dans les abimes. Je ne crois plus, ou ne préfère plus croire aux dates envisagées, impossibles ou probables du dé-confinement qui se ferait par paliers, ou par tranches d’âge, ou par régions…quand on aura en suffisance masques et tests – soit en juin si j’arrive encore à poser un chiffre devant l’autre.
A la fin de la troisième semaine du confinement, délestée du souci que j’ai pour le moral immédiat de mes enfants, je peux voguer à ma façon sur cette longue traversée d’un océan qui, après les tempêtes qui s’abattent sur le monde entier et pour chacun, offre un horizon dont on sait, seul, que le soleil continuera de se lever. Que le monde est beau, que la terre est belle et se suffit amplement à elle-même sans les hommes pour l’habiter ! C’est ce ravissement de chaque instant que me rapportent ceux qui confinent à la campagne. Pour les rats des villes, c’est plus difficile mais reste possible quand on accepte le cataclysme en se disant que, de toujours, l’homme a tenu bon et s’est refait – tant qu’il est vivant. Sur ce coup-là, du Covid, comment se refera-t’il ? Je suis curieuse de le voir, excitée même. On vit une époque formidable – et je le dis sans ironie avec, toutefois, des larmes pour ceux qui resteront sur le carreau. Mais pas de pitié pour les requins qui piratent des cargaisons de matériel médical, pas ex…
A mon niveau individuel, puisque je ne peux même pas servir de bouée de sauvetage à mes proches, j’accepte et me résigne à traverser cet océan d’ouragans en faisant la planche comme un noyé qui sait que, plus il se débat, plus il s’épuise et œuvre à contre-courant.
Après trois semaines de confinement, je me surprends souvent à rêver au premier jour de dé-confinement. Quelque chose en moi me dit que je serais bien capable de ne rien faire de spécial, que je serais tellement bien parvenue à me sur-confiner dans le confinement qu’il me faudra quelques jours pour refaire surface – comme un muscle atrophié qui a besoin d’exercices pour retrouver son amplitude de fonctionnement. Mais j’ai ce rêve, quand même, qui me fait du bien. Le fantasme de sortir de chez moi les mains dans les poches, de me rendre gare du Midi sans aucune idée de destination en tête – sauf que ce sera pour la mer, une mer à l’ouest. Je sauterais dans le premier train qui m’y amènerait, marcherais jusqu’à la plage où je m’assiérais pour juste…contempler – des heures entières… Je m’endormirais le visage offert au soleil et me réveillerais les pieds dans l’eau et la tête sur des galets. Puis je me trouverais une table en terrasse face au soleil couchant, et je m’offrirais un plateau de crustacés frais et un verre de vin blanc – le plus fin, le plus cher… A la fin, je rentrerais à Bruxelles, légère, heureuse, libre – et la vie me semblerait merveilleuse.
Plus j’en rêve, plus je me dis que ce serait au Touquet.
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oh oui moi aussi j’y pense Loretta. Merci pour cette bulle d’air! Et ce bon verre de vin 🙂
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