« Seule la nuit peut transporter les mots entre les mondes »

écrit Jón Kalman Stefánsson dans Ton absence n’est que ténèbres. Et je me demande de quoi sont faites mes nuits ces derniers temps. Des passages de train le long de la maison. Le quartier dans lequel nous venons d’emménager est envahi par les soubresauts des wagons filant à toute allure dans l’obscurité. Parfois, les vibrations me réveillent et je cherche le sommeil dans une marre de boue gigantesque où je peine à me mouvoir, il fait humide et froid et je n’arrive plus à me rendormir. Si seulement, je parvenais à me nicher dans un rêve !

Mes nuits, mes mots, une même quête impossible, pour le moment. Je suis derrière une grosse bête, peut-être un dragon ou un ogre, gras, gesticulant, gluant, qui marche vite et je sais que je dois agripper sa queue et m’y tenir fermement accrochée si je veux trouver ma destinée. Le monstre ne tourne jamais la tête, je ne vois que son contour, qu’une masse obscure. Une pensée émerge, je ne possède pas la force physique pour courir derrière ce monstre-là. Qu’est-ce qui me coupe des mots et m’abandonne au bord de la route ? Mon ambition, mon égo ou tout simplement la fatigue ? Qu’est-ce que j’attends de moi et qui me semble, aujourd’hui, inatteignable ? Ce qui me sauve, encore une fois, ce sont les livres, ces mondes déconnectés du mien qui m’accueillent le soir, sous une montagne de plumes, la joue collée contre le coton un peu rêche de la taie d’oreiller. J’entends le train passer, une énième fois, il défile en faisant voler les feuilles des immenses acacias. La nuit pourrait durer ma journée entière et le matin toute la maisonnée partirait vivre sa vie et moi, je m’endormirais en plein printemps islandais, remuée par les désirs de Sóley ou d’Elias, étonnée d’avoir, en si peu de pages, rencontré autant d’êtres humains, si différents de moi.

J’attends, anxieuse peut-être, l’arrivée et la sortie de mon prochain livre. Sans lui, pour le moment, je me sens démunie, seule, empêtrée dans une attente d’un entre deux saisons, à ne plus savoir si je sais écrire, si je sais respirer, si je sais vivre, encore. Peut-être que je devrais devenir chouette ou chauve-souris afin de déambuler dans le quartier la nuit. Ces nouvelles rues où je ne connais encore personne, où je ne suis personne. M’habiller de noir, une grande cape qui se fondrait sur le ciel sombre, qui glisserait entre les habitations, évitant les nids de lumière, les paroles échangées. La pluie et le froid sont revenus et je dois encore trouver les cartons « hiver » dans le garage encombré. Installer. M’installer. Faire mon trou, c’est ça, creuser, déposer mes racines, comme celles des plants de thym et de romarin achetés ce matin sur le marché en rentrant de l’école et pour lesquelles je dois trouver une place, mais aussi une place pour moi, un espace d’où je pourrais observer la vie.

Juste ça. Observer la vie. Non pas écrire un nouveau livre, un roman, un long projet, non, juste ça, observer la vie. Après, on verra.

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