« Tout entière, tout de suite »

« L’une des petites choses que je sais sur l’écriture est la suivante : dépense-la tout entière, lance-la, mise-la, perds-la, tout entière, tout de suite, à chaque fois » écrit Annie Dillard dans son ouvrage En vivant, en écrivant.

Mon dernier roman publié vole désormais de ses propres ailes et libère de la place en moi. Quelque chose s’est apaisé. Une forme de tension était nichée, là, à l’intérieur de moi, depuis ce matin de l’année dernière où j’ai signé mon contrat d’édition. A présent, qui suis-je ? Des nouvelles sont nées et un roman s’est ouvert sur mon bureau ; j’y vais, je m’en éloigne un temps, j’y reviens, je ne sais pas par où le prendre, je ne sais pas si j’en ai la force aussi parfois. Un livre ouvert, c’est un murmure constant, juste là, derrière la tête.

Annie Dillard, encore une fois, m’accompagne dans ma résidence annuelle en Grèce, me rappelle que l’écriture, c’est comme boire, se lever, marcher, c’est tout de suite, chaque jour, renouvelée, désirée, redoutée et haïe à la fois, c’est maintenant. Maintenant, parce que demain est un autre jour.

Dépenser ce que la vie à ce moment précis me souffle, ne pas tenter de façonner, peaufiner, réorganiser, juste laisser se déposer, accueillir. Demain, c’est un autre jour. Un autre mot, demain une autre partie de moi accessible ou absente, demain, l’écriture me portera ailleurs. Merci Annie Dillard pour ce texte, cet élan, lorsqu’il faut, encore, seule, seule encore, repartir, rebondir. Le regard de mes lecteurs, jeudi passé, curieux et bienveillant, m’aide à me remettre en route, à reprendre le bâton de marche.

Dans l’écriture, rien n’est donné pour une fois. L’écriture se réinvente, se reconstruit, l’écriture choisit ses propres chemins de traverse. Peut-être que comme l’écrit Annie Dillard, je l’ai perdue un temps, ou peut-être lui ai-je retiré ma confiance, je ne sais pas. Quelque chose s’est distancié en moi, peut-être est-ce une mise en jachère d’une partie de moi ? Je ne sais pas. La plupart des auteurs le disent : chaque projet a son processus d’écriture, ses humeurs, ses forces, ses failles. Il faut apprendre à s’entendre, à se comprendre. Cela prend du temps.

Le cerisier du voisin est en fleurs. Loutro m’attend au bout du chemin, dans quelques jours, avec ses éclats de lumière, ses silences nocturnes, ses miroitements de vagues, ses plongées dans les profondeurs de l’âme. Le goût de ses avocats et de ses olives noires sur ma langue. Depuis mon lit, je verrai le soleil se lever et sentirai ses rayons tièdes caresser mon visage, effaçant les doutes, repoussant l’obscurité.

Prends-la tout entière l’écriture, me dit-elle, c’est ce que j’ai envie de répéter ici, pour moi, pour vous qui écrivez, pour nous tous.

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