Aude Lafait
Écriture

Journal De Confinement Jour 4

La petite dort, je suis libre. Les autres s'occupent, je suis libre. Le soleil est ressorti, a-t-il eu pitié de nos mines tristes et de nos regards vagues ?, je suis libre. Au petit-déjeuner, un oisea...
La petite dort, je suis libre. Les autres s'occupent, je suis libre. Le soleil est ressorti, a-t-il eu pitié de nos mines tristes et de nos regards vagues ?, je suis libre. Au petit-déjeuner, un oiseau a traversé le jardin, j'ai dit, « lui il est libre, il ira où il en a envie aujourd'hui, il pourra, de balcon en fenêtre, de toit en terrasse, observer nos gestes quotidiens ». Il est libre, je suis libre, tout au fond, par la création, nous sommes libres. L'horizon est immense, une véritable toile sur laquelle peindre un voilier en partance vers les Marquises, un chalutier aux pécheurs endormis, un carnet d'esquisse sur lequel griffonné des personnages rocambolesques, un fond d'écran vierge sur lequel écrire des histoires, gratouiller des intrigues, déposer, simplement, ses mots du jour, comme une offrande au virus, nourris-toi de ça plutôt que de nos vies, nourris-toi de notre liberté pour te libérer toi-même, redevenir insignifiant et t'enfouir sous la terre, gagner le plus profond de ses eaux, infime particule et disparaitre. J'ai offert il y a trois jours, un carnet noir aux pages blanc écru, à mes deux grands et leur ai proposé, chaque jour, d'écrire une phrase. Ce qui leur passe par la tête, ce que j'appelle dans mes ateliers d'écriture, la prise de température, la météo intérieure. Un peu comme si vous vouliez répondre à la question « qui suis-je ce matin ? ». Propositions d'écriture : Vous pouvez ensuite pousser plus loin l'exercice en cherchant à vous décrire comme vous le feriez pour un portrait chinois. Prenez une ou deux phrases et continuez-les (ou inventez-les) : « si j'étais une forêt vierge encore intouchée par l'homme, si j'étais cet animal dont tout le monde parle mais qui ne se montre jamais, si j'étais ce bar où tous mes voisins trinquent le jeudi soir, si j'étais la chaussette trouée de l'oncle Eugène, si j'étais les clés perdues de la caissière, si j'étais le rayon vert au coucher du soleil sur la mer, si j'étais"¦ ». Le soleil, je disais, c'est mon espoir. J'ai la chance de pouvoir m'assoir à ses côtés et le regarder en face, les yeux fermés, boire sa chaleur. Attraper quelques rayons, les glisser en boule sous mon pull et, un jour de ciel gris, les libérer comme on le ferait de ballons gonflés à l'hélium et les contempler s'élever dans le ciel. Aujourd'hui c'est mon tour, demain le tien, et toi voisin ? Après les cris déchaînés d'hier 20h, un lâcher de soleils ! Comme le dit un de mes personnages féminins dans mon projet d'écriture actuel « sans rêve, on arrive à rien ici ». Oui, apprendre à se reconnecter aux images surréalistes de nos têtes d'enfant. Ces derniers jours, ces premiers jours de confinement, je boudais ce roman sur lequel je travaille depuis plusieurs années, avant la sortie et l'écriture de mon dernier, L'île déchirée. Tout me semblait secondaire, l'histoire, les trajectoires, les pensées. Quelle prétention d'écrire, et encore plus de faire lire un jour, si le monde autour de nous est en train de peler comme une peau de lépreux ? A quoi rime cet acte égoïste et solitaire ? Peut-être juste faire écho aux ressentis des autres ? Mais j'ai réouvert mon manuscrit, j'ai monté à cru la bête refroidie. J'ai attendu que le silence prenne possession de moi quelques minutes, repoussant l'assaut des doutes et des voix destructrices. Un chapitre par jour. Ce matin, le thé s'est transformé en une infusion de menthe, thym, romarin et origan que j'ai ramassés dans la jardinière bien trop humide qui a passé l'hiver dehors. Je pensais que les moignons brunâtres qui dorment à la belle étoile depuis l'été auraient crevé mais ils se tiennent debout, cambrés, voûtés, mais debout et peu à peu des petites feuilles renaissent. Je ne voudrais être nulle part ailleurs, ce matin, qu'assise ici à écrire dans les rayons du soleil. A demain.