Écriture
Journal De Confinement Jour 11
Combien de fois ce matin ai-je effacé et réécrit ces phrases ? J'ai recopié un poème de Patti Smith (Glaneurs de rêves, rien que le titre, j'adore !), puis je l'ai trouvé trop long et je l'ai supprimé...
Combien de fois ce matin ai-je effacé et réécrit ces phrases ? J'ai recopié un poème de Patti Smith (Glaneurs de rêves, rien que le titre, j'adore !), puis je l'ai trouvé trop long et je l'ai supprimé. Ouvert un livre de Susan Sontag et l'ai refermé. Non. Rien. J'arrache alors une à une les petites peluches de laine de mon pull émeraude, je bois la dernière goutte de mon thé devenu froid, je regarde dans la rue, un homme au sac jaune fluo sort faire ses courses, et je me demande, quel sens ont encore les mots, les miens, lorsque la vie, devant nous, autour de nous, bascule ? Lesquels choisir ? Ce matin c'est comme s'ils sonnaient creux ou pire s'ils révélaient une forme de culpabilité d'être en vie, de jouir d'un confort, alors que d'autres souffrent. C'est comme si chaque jour je devais me recréer une identité, redéfinir ce que je suis, qui je suis. Alors que mes acquis et mes repères se fissurent, la crainte, après la nuit, de me réveiller dans un autre corps, une autre vie. Heureusement écouter les mots des autres me fait vibrer. Tout en accompagnement les jeux de ma fille, je me délecte de la voix de Le Clézio dans une émission en quatre temps de l'automne dernier. Sa voix grave et posée. Elle me rassure et me fait tressaillir en même temps, comme si sa lenteur allait m'annoncer quelque chose de tragique, d'irrévocable. Le dernier livre acheté, alors que je pensais que les libraires allaient fermer pour plusieurs semaines, c'était le sien. Comme un morceau de tiramisu sauvegardé dans un frigidaire vide, je le garde tout près de moi la nuit. Je ne l'ai pas encore ouvert. Pour quand, alors ? Et si, d'ici là , je n'existais plus ? Ce matin j'ai changé tous les draps de la maison, ah non, tiens, j'ai oublié celui de la chambre d'amis, la minuscule chambre où ne tient qu'un lit double, la chambre joker où nous isoler, jouer, dormir, à l'abri du tumulte de la vie sans dessus-dessous de notre confinement familial à cinq. Bientôt l'odeur de lessive se répandra dans la maison, les cotons barioleront de couleurs la rampe de l'escalier, ici ça sèche plus vite et j'aime humer le parfum des draps propres. Pour notre grande couette, j'ai choisi la housse vert printemps, celle que j'ai fait faire à Arusha où nous avons vécu il y a une dizaine d'années. Les girafes, buffles et éléphants dessinés à la main et reproduit à la peinture me renvoient à cette période de ma vie. Je venais d'être mère pour la première fois et nous avions eu l'opportunité de partir vivre et travailler en Tanzanie. Le plus beau c'était, je le crois maintenant, notre insouciance, notre désir ardent de découvrir une autre vie. L'Afrique nous avait déjà appelés un an plus tôt et nous avions vécu des mois brûlants en terre djiboutienne. Mes yeux parcourent le trottoir où donne mon bureau à Bruxelles et où se superposent les marchés bariolés d'Arusha. Deux jeunes filles dégustent un sorbet dans un cornet, ohhhh grand Dieu, se peut-il que le glacier soit ouvert ?! Alors que notre vie semble en suspens, que lors de mes sorties je respire à peine de peur d'inhaler un Covid 19, des cornets de glaces poussent au coin de ma rue. Proposition d'écriture : Où, quand et dans quelles circonstances avez-vous mangé la meilleure glace de votre vie?