Aude Lafait
Écriture

De Lautre Cote

Je les regarde, ils bougent de moins en moins. Certains dont les pinces sont emmêlées entre les mailles rouge vif et la corde verte, s'accrochent désespérément les uns aux autres, ils se frottent, se ...
Je les regarde, ils bougent de moins en moins. Certains dont les pinces sont emmêlées entre les mailles rouge vif et la corde verte, s'accrochent désespérément les uns aux autres, ils se frottent, se palpent, est-ce que la proximité d'un congénère les rassure lorsque la mort est si proche ? Autour du bateau, les pêcheurs ont déserté la plage jonchée de cadavres, une mouette picore les yeux et la masse brunâtre de la cervelle d'un crabe. Tout ce gâchis, toute cette vie pour quelques pinces dont on se régalera de la chair blanche et fondante dans les restaurants alentour. Notre filet, à nous, notre enfermement, c'est quoi ? Après la liberté des grands espaces, de la saison chaude nous offrant du temps et de la détente, le retour à la logistique du quotidien, au travail, nous enferme-t-il dans un moule, un filet de mailles trop serrées pour nous évader ? Que faire ? Dans un moment de répit, je cisaille de mes dents le fil de nylon au goût d'algue, je me contorsionne, me transforme en une masse souple, glissant un pied par l'ouverture, et puis l'autre, il me faut trancher une autre maille, le temps presse. Bientôt l'obscurité recouvrira la plage et le vol des rapaces s'intensifiera. Je parviens enfin à passer mon bassin, mon torse, le nylon s'accroche à mes cheveux, j'aurais dû les attacher mais le vent et le sel les a rendus sauvages. Je sens mon poids tomber et soudain la morsure du froid mouillé sur ma peau. Sous mes dents crissent des cristaux de sable. Je cours vers les reflets lumineux de l'eau, je ne me retourne pas une seule fois vers le phare, je rentre toute habillée dans la mer qui me semble immense. De l'autre côté. Nager sans jamais regarder derrière moi, enlacer les remous, oublier le noir au-dessous de mes pieds, nager et dans le réchauffement de mes muscles, savoir que bientôt, je serai à nouveau libre.   dav