Et la dune

« Il sentit sur lui pour la première une pénétrante odeur de mort » (Baricco, Océan mer).

Il se leva, caressa du regard la baie, le sable sombre, les carapaces de crabes éventrées par les mouettes, l’écume des vagues, les dunes balayées par le vent. Le crachin s’infiltrait à présent dans son cou, entre ses bottes et son pantalon. Il frissonna.

Cette odeur de mort il la connaissait bien mais il croyait l’avoir repoussée loin dans les recoins de sa mémoire, loin des sensations physiques qui l’accompagnaient, amertume dans la bouche, vision particulièrement aigüe, peau tendue à l’extrême. Cela faisait plus de cinquante ans. Mais son odeur n’avait pas changé. Il se retourna et aperçut un bateau de pêcheur, chargé de filets, qui remontait la plage, tiré par un câble. Il fit glisser sa capuche sur ses épaules, être mouillé lui importait peu à présent.

Ce matin, il sentait que quelque chose venait d’arriver. La peau de son visage ne réagissait plus de la même façon à la brise froide. C’est comme s’il lui manquait une couche imperméable. Il frissonna à nouveau. Avant d’entrer dans le bar surchauffé de la plage, il martela ses bottes en caoutchouc sur les pavés du trottoir. Il acheta le journal du jour, le rangea dans la poche interne de sa cape et s’engouffra à nouveau dans le vent de la rue.

Il repéra de loin la feuille de papier à moitié effacée par l’averse. Coincée entre les planches mal agencées de la porte de son cabanon, elle remuait dans le vent comme un drapeau de défaite, un cessez-le-feu. Il accéléra le pas, ses poings crispés dans ses grandes poches humides. Il saisit le papier pour déchiffrer les mots « Elle est morte ce matin à 5h ».

Elle ne l’avait pas attendu. Cela lui ressemblait, partir sans dire au revoir, sans explication.

Il leva son regard vers le ciel, les lourds nuages disparaissaient vers l’ouest, un subtil parfum de fleur d’aubépine lui parvint de la dune.